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 Myrna :
Je me souviens avoir essayé de faire du pain. Je mettais de la farine et puis j’ai perdu le compte, alors j’ai tout jeté et j’ai recommencé. Pendant que j’essayais de faire ça, je me lançais des insultes et me traitais de toutes sortes de noms, en raison de l’association que la démence est autre chose qu’un trouble neurologique. Ça me faisait penser au roman La lettre écarlate, mais au lieu du « A » écarlate pour « adultère », c’était plutôt un « D » pour démence.
 
Allison :
Vous venez d’entendre Myrna Norman. Elle est victime de stigmatisation parce qu’elle souffre de démence, mais, comme vous l’entendrez, malgré sa situation, elle est épanouie et est déterminée à combattre les préjugés.
 
Jay :
Bienvenue à Défier la démence, le balado pour quiconque a un cerveau.
 
Allison :
Adopter un mode de vie qui maintient votre cerveau en santé et qui réduit le risque de démence : c’est ce que vise Défier la démence. Car la démence ne dépend pas seulement des gènes. La génétique peut jouer un rôle, mais les facteurs de risque liés au mode de vie tels que l’exposition à la pollution atmosphérique et le manque d’exercice sont également très importants.
 
Jay :
Selon les scientifiques, si nous apportions des changements sains à ces facteurs de risque, nous pourrions réduire d’au moins 40 % les cas de démence à l’échelle de la planète.
 
Allison :
L’épisode d’aujourd’hui a pour titre "Mettre fin à la stigmatisation”. Nous explorerons les répercussions de la stigmatisation sur les personnes vivant avec une démence et nous nous pencherons sur ce que nous pouvons faire pour y mettre fin.
 
Jay :
Je m’appelle Jay Ingram. Je suis journaliste scientifique. J’écris sur la démence et j’en parle depuis plus de 25 ans.
 
Allison :
Je m’appelle Allison Sekuler. Je suis présidente et scientifique en chef à l’Académie de recherche et d’éducation de Baycrest et du Centre d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement.
 
Jay :
Joignez-vous à nous pour défier la démence. Parce qu’il n’y a pas d’âge pour prendre soin de son cerveau.
 
Allison :
Le mot « stigmatisation » signifie littéralement une marque de disgrâce. De manière plus générale, il réfère aux « attitudes, croyances ou comportements négatifs à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur situation personnelle ».
 
Jay :
Aujourd’hui à Défier la démence, vous ferez la connaissance de personnes atteintes de démence qui ont été intimement confrontées à la stigmatisation. Elles feront part d’idées sur la façon de s’y attaquer de front, collectivement, pour le bien des personnes atteintes de démence et de l’ensemble de la société.
 
Allison :
Plus tard dans l’émission, vous ferez la connaissance de l’expert et défenseur Jim Mann. Selon la Société Alzheimer du Canada, Jim est peut-être la personne la plus influente au pays dans le domaine de la lutte contre la stigmatisation liée à la démence.
 
Jay :
Mais d’abord, voici une histoire personnelle sur la manière de s’épanouir malgré la stigmatisation.
 
Allison :
Myrna Norman a 75 ans et vit à Maple Ridge, en Colombie-Britannique. La plupart de nos auditeurs la connaissent déjà. Nous l’avions reçue lors du deuxième épisode de Défier la démence, qui portait expressément sur l’importance cruciale de la socialisation dans la santé du cerveau. Il y a 15 ans, Myrna a reçu un diagnostic de démence frontotemporale, mais elle a désormais un diagnostic de trouble cognitif léger. Ce premier diagnostic l’a laissée profondément isolée et stigmatisée, mais elle est parvenue à sortir de ce cocon, à s’en libérer. Depuis, elle aide de nombreuses autres personnes à faire de même grâce à un groupe de soutien aux personnes atteintes de démence qu’elle a mis sur pied au sein de sa communauté. Myrna, merci infiniment de nous aider à défier la démence.
 
Myrna :
Oh, Allison. Je ne sais pas comment vous remercier de me donner cette chance de parler de la démence. Merci encore.
 
Allison :
C’est un immense plaisir de vous avoir avec nous. Selon vous, d’où vient la stigmatisation?
 
Myrna :
Je pense qu’elle provient principalement de deux choses : la peur et l’ignorance. Mais je n’aime pas utiliser le mot « ignorance ». Disons plutôt « manque de connaissances ». Nous n’en savons pas encore assez sur la démence, comme on ne savait pas tout sur le cancer ou d’autres maladies auparavant.
 
Jay :
Je suis d’accord. Plus d'éducation sur la démence est nécessaire. Myrna, après avoir reçu le diagnostic de démence frontotemporale, à quoi ressemblait votre expérience de la stigmatisation?
 
Myrna :
Oh mon Dieu, j’étais dévastée. Je pensais que j’avais perdu toute valeur et que tout le monde me voyait comme une personne incapable de vivre une bonne vie ou de contribuer positivement à sa communauté et son pays. Je me suis donc retrouvée à me stigmatiser pendant un certain temps. Je me souviens avoir essayé de faire du pain. Je mettais de la farine et puis j’ai perdu le compte, alors j’ai tout jeté et j’ai recommencé. Pendant ce temps, je me lançais des insultes et me traitais de toutes sortes de noms, en raison de l’association que la démence est autre chose qu’un trouble neurologique. Ça me faisait penser au roman La lettre écarlate, mais au lieu du « A » écarlate pour « adultère », c’était plutôt un « D » pour démence. La stigmatisation chamboule complètement notre développement personel, la manière dont nous voulons être et la façon dont nous voulons être perçus.
 
Jay :
Myrna, pourriez-vous nous raconter quelques expériences de stigmatisation? Des moments où des personnes ont dit ou fait des choses qui vous ont affectée?
 
Myrna :
Certainement. À un moment donné, à la suite d’un mini AVC il y a environ cinq ans, je suivais des thérapies à l’hôpital. Je faisais partie d’un groupe pendant un certain temps, et le nombre de participants variait selon l’amélioration de leurs capacités. Durant l’exercice, nous faisions le compte à tour de rôle, les mains sur la tête. Quand c’était mon tour, je pense que j’ai mal compté, mais je ne m’en suis pas rendu compte. Un homme à côté de moi a dit : « C’est quoi ton problème? Tu as la démence ou quoi? » Je me souviens encore de ce sentiment aujourd’hui, même si ça fait environ cinq ans. Ça m’a complètement dévastée. J’ai quitté l’hôpital et je n’y suis jamais retournée pour ces exercices, même si on me l’a demandé à plusieurs reprises. On m’a téléphoné, on a tenté de m’amadouer, mais je ne pouvais simplement pas revivre cette stigmatisation.
Une autre fois, Il y a quelques années, mon mari et moi avons été invités à passer quelques jours en famille dans un chalet au bord d’un lac. Pendant notre séjour, la femme de la maison n’arrêtait pas de me suivre. Il est important de comprendre qu’elle était dans ma bulle. Je pouvais carrément sentir son souffle à l’arrière de mon cou. C’était très désagréable. Nous ne dormions pas à l’intérieur du chalet lui-même, et chaque fois que je devais utiliser les toilettes dans le chalet, elle me suivait. À un moment donné, je n’en pouvais plus. J’ai dit : « Vous pouvez arrêter de me suivre? Pourquoi faites-vous cela? » Elle a dit : « Eh bien, vous avez une démence. »
J’étais complètement dévastée. À ce moment-là, cela faisait dix ans que je vivais avec la démence. Je suis revenue dans ma chambre, j’ai commencé à pleurer et à faire mes valises. Mon mari est arrivé en courant et m’a demandé ce qu'il se passait. Ensuite, l’homme de la maison est descendu et a commencé à crier après moi. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce qu’il y a? » et Il a répondu : « Eh bien, vous êtes folle. Nous ne savons pas ce que vous pourriez faire. Vous êtes atteinte de démence. » Nous avons continué à faire nos valises. Rien que d’y penser, j’en ai encore les larmes aux yeux. Nous avons fait nos bagages et quitté le chalet. Nous étions à huit heures de route de chez nous. Ce souvenir est toujours aussi douloureux. Toujours est-il que ce genre de situation ne devrait pas arriver. Je peux toujours être la personne que je veux être. Bien sûr, j’aurai des difficultés et j’aurai besoin d’aide. Mais, il y a des avantages : je n’ai plus à cuisiner ni à conduire. Je pense que, peu importe la situation dans laquelle on se trouve, il y a toujours des moyens pour surmonter ces problèmes.
 
Jay :
Myrna, votre description de la stigmatisation me fait penser à une expression qu’on entend beaucoup aujourd’hui, la violence psychologique, qui englobe le fait de vous dire des mensonges sur vous-même jusqu’à ce que vous commenciez à y croire. Ça me fait me demander : avez-vous une idée des répercussions que la stigmatisation peut avoir sur la santé du cerveau des personnes qui, comme vous, vivent avec la démence?
 
Myrna :
Oh, bien sûr. Les répercussions sont nombreuses. Cela nous pousse à rester dans notre cocon parce que nous avons peur de sortir et d'être blessés. Ça nous force même à arrêter de chercher des stimulations et de faire les choses qui pourraient nous aider. Avec le temps, nous finissons par abandonner, persuadés que nous ne réussirons pas, que la vie sera horrible et qu’il ne vaut même pas la peine d’essayer. Cela ne conduit pas à une vie heureuse.
 
Allison :
Dans l’introduction, j’ai mentionné que vous vous êtes libérée de votre cocon. Cette image que vous avez utilisée m’a vraiment frappée lors de notre dernier entretien. Qu’est-ce qui a changé dans votre perception de la stigmatisation et qui vous a permis de vous libérer de votre cocon et de vous épanouir comme vous le faites aujourd’hui?
 
Myrna :
Il y a eu deux choses. La première, c’est mes petits-enfants. Je n’ai eu que des filles et ensuite j’ai eu plein de petits-fils. Nous passions beaucoup de temps à faire des activités de garçon. J’adorais passer du temps avec eux. Mais, pendant cette période où j’étais confortablement chez moi, j’étais en fait effrayée. Comme je ne comprenais pas la démence, j’avais peur de leur faire du mal ou de dire des choses inappropriées. Puis, je me suis dit : « Regarde tous les moments de bonheur que tu as eus avec ces enfants. Tu ne veux pas renoncer à ça. Ce sont tes petits-enfants. D’une certaine manière, tu as un rôle à jouer dans leur vie. » Voilà pour la première chose. La deuxième chose, il y a une dame, la Dre Gloria Praveen, qui m’a encouragée à essayer l’art. Je n’avais jamais peint ni écrit de poésie. Je me suis inscrite à des cours, et vous savez quoi? J’ai adoré. En faisant ces activités, j’ai découvert que j’étais poète, que je pouvais écrire un livre, que je pouvais peindre un tableau. Tant que ces activités me rendent heureuse, c’est ça qui compte.
 
Allison :
Incroyable.
 
Jay :
Maintenant, Myrna, il y a de nombreuses personnes qui vivent une situation similaire à la vôtre et qui n’ont peut-être pas de petits-fils avec qui jouer. Que leur recommanderiez-vous pour briser la stigmatisation?
 
Myrna :
Si nous ne vivons pas pleinement notre vie, si nous passons la journée à écouter CNN sur notre chaise berçante, nous ne permettons pas à notre cerveau de se développer. Nous ne pourrons pas apprendre de nouvelles choses. J’ai donc trois recommandations : bien manger, faire de l’exercice, et se socialiser. Dans notre groupe de soutien aux personnes atteintes de démence Purple Angel, il y a des personnes qui ne peuvent pas parler. Et vous savez quoi? Nous nous comprenons parfaitement. C’est vraiment extraordinaire. Les gens doivent simplement apprendre à s’accepter et à se considérer comme égaux.
 
Jay :
Ainsi, rejoindre un groupe comme vous l’avez fait serait une chose importante à faire?
 
Myrna :
Oui, et essayez de continuer à faire certaines des choses que vous aviez l’habitude de faire. Aller au restaurant et jouer aux cartes avec des amis sont des activités populaires chez les aînés. N’arrêtez pas de faire les choses que vous aimiez. Notre groupe de personnes vivant avec la démence est même allé à la pêche. Imaginez ça! J’ai la ferme conviction que, le plus important, c’est de pouvoir continuer à se socialiser. C’est important, même avec un diagnostic de démence. Nos partenaires de soins doivent nous encourager en ce sens.
 
Allison :
Parlant de partenaires de soins, quels conseils leur donneriez-vous? Que peuvent-ils faire pour réduire la stigmatisation des personnes qui vivent avec la démence?
 
Myrna :
Je pense que les personnes soignantes font d’énormes efforts. C’est un travail vraiment difficile. Elles doivent absolument bénéficier de plus de soutien. Elles ont besoin de temps pour elles, comme du temps de répit. Ce sont des choses que nous devons mettre en place pour les partenaires de soins. Quant à la manière dont les partenaires de soins interagissent avec leur être cher, je sais que cela peut paraître vraiment stupide, mais c’est avec compassion et compréhension. Par exemple, mon mari me parle toujours avec le même ton qu’il y a 20 ans. Même si j’ai une démence, il ne me parle pas comme à une enfant. Nous tentons encore d’avoir une relation égalitaire, où il y a des échanges réciproques. Il y a aussi ce préjugé selon lequel une personne pense bien faire en disant : « Oh, non, mon cher, va t’asseoir. Je m’en occupe. » ou « Laisse-moi t’enlever ça. Tu ne devrais peut-être pas avoir ça. » Ou encore à l’épicerie : « Je t’ai dit de rester à côté du chariot. » Ce genre de choses. Les gens pensent bien faire, mais il est important de se mettre à la place de la personne dont on s’occupe et de réfléchir à ce qu’on ressentirait à sa place.
 
Allison :
Je suis contente que vous ayez mentionné ces formes de stigmatisation subtile. Bon nombre d’entre nous qui avons un être cher atteint d’une démence avons l’habitude, comme vous l’avez dit, de terminer leurs phrases ou de nous lever pour les aider. Comment savoir où tracer la limite entre aider quelqu’un et lui enlever son identité individuelle? Pensez-vous que cette limite est la même pour tout le monde?
 
Myrna :
Pas de tout. Je pense que lorsque nous comprenons mieux la démence et ses nombreuses particularités, nous pouvons améliorer notre quotidien. Par exemple, quand j’ai reçu mon premier diagnostic, j’étais folle furieuse quand mon mari tentait de m’aider à terminer mes phrases. Nous avons discuté, et je lui ai dit : « Quand j’aurai besoin de ton aide, je te le demanderai. Tu pourras m’aider alors si nécessaire, mais s’il te plaît, pour le moment, donne-moi la chance de continuer à faire travailler mon cerveau pour que je voie si je suis capable de trouver ces mots.
 
Allison :
Et au niveau de la société dans son ensemble, que diriez-vous qu’il faut faire pour réduire la stigmatisation?
 
Myrna :
Je pense que nous devons nous informer. Il faudrait vraiment une campagne de sensibilisation dans tous les secteurs de la société. Selon moi, l’un des plus grands pas en avant serait de mettre en avant des personnes comme moi – et nous sommes nombreux – pour parler publiquement.
 
Allison :
C’est excellent. Plus nous nous concentrerons sur des personnes comme vous qui font part de vos expériences, mieux ce sera. Je pense que c’est vraiment dans ce partage que nous pourrons tirer les plus grands bénéfices.
 
Jay :
Je suis d’accord. Mais je dirais aussi qu’on ne peut pas seulement compter sur ces personnes atteintes de démence qui ont le courage de se dévoiler et d’interagir, comme Myrna. D’ailleurs Myrna, ça fait 15 ans que vous avez reçu votre premier diagnostic. Vous êtes une militante remarquable, une oratrice hors pair et, comme nous le savons, une invitée formidable, mais est-ce que la stigmatisation pèse encore sur vous?
 
Myrna :
Oui, mais je ne laisse pas cela m’affecter. Je crois que j’ai vécu la plus grande douleur avec ma famille. Ainsi, je ne laisse plus cela envahir mon espace. C’est mon espace. Vous pensez ce que vous voulez. Les gens ont ce besoin irrépressible de tout catégoriser. Je ne sais pas si l’humanité peut changer cela, mais je pense que si les gens voient assez de gens qui vivent bien avec la démence, ils feront des efforts, surtout s’il y a du soutien pour ces personnes de sorte qu’ils puissent voir qu’il est possible de s’épanouir malgré tout.
 
Jay :
Oui. Déconstruire beaucoup de mythes serait un bon début. Myrna, j’ai adoré m’entretenir avec vous une seconde fois. Enfin, qui sait? Peut-être y aura-t-il une troisième fois. Nous sommes vraiment reconnaissants que vous soyez venue et que vous ayez partagé votre sagesse avec nous. Merci encore.
 
Myrna :
Un grand merci pour tout ce que vous faites pour aider toutes ces personnes qui mènent une vie très difficile. J’apprécie ce que vous faites. J’ai les larmes aux yeux. Ce sera donc la fin de l’entretien.
 
Jay :
Merci. Myrna Norman est une défenseuse des personnes atteintes de démence et coordonnatrice bénévole du groupe de soutien Purple Angels Ambassadors pour les personnes atteintes de démence. Elle nous a parlé depuis Maple Ridge, en Colombie-Britannique.
Notre prochain invité est Jim Mann. Il a écouté Myrna et il est important de dire qu’il la connaît assez bien. Tous deux sont défenseurs des personnes atteintes de démence en Colombie-Britannique. Avant de prendre sa retraite, Jim a travaillé en marketing et en consultation de gestion. À 58 ans, il a reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Depuis, Jim s’est engagé à combattre la stigmatisation et à sensibiliser la population à la démence. Il est devenu un militant et a travaillé aux côtés de scientifiques sur des études de recherche sur la démence. Parmi ses nombreux postes de leadership, il est membre du Comité consultatif ministériel sur la démence et du conseil consultatif de l’Institut du vieillissement des Instituts de recherche en santé du Canada. Récemment, il a été cochercheur principal pour “Flipping Stigma”, une ressource de lutte contre la stigmatisation et financée par les Instituts de recherche en santé du Canada. Et il y a une autre chose importante à savoir sur Jim : quand il sort de chez lui, il porte un cordon autour du cou avec une étiquette qui dit « Soyez patients, s'il vous plait. J’ai la maladie d’Alzheimer. »
Jim Mann nous parle depuis Surrey, en Colombie-Britannique. Jim, bienvenue à Défier la démence.
 
Jim :
Merci beaucoup. Je suis ravi d’être là.
Jay :
Jim, vous connaissez Myrna. Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué en l’écoutant?
 
Jim :
Ce qui m’a frappé, Jay, c’est à quel point la stigmatisation envahit la vie des personnes et la diversité des expériences vécues. Les histoires varient, mais le nom « stigmatisation » est toujours là, en gros caractères.
 
Allison :
Quand vous êtes en public, vous portez un cordon avec l’inscription « Soyez patients, S’il vous plait. J’ai la maladie d’Alzheimer. » Pouvez-vous nous dire ce que vous souhaitez accomplir en portant ce cordon?
 
Jim :
J’espère atteindre deux objectifs. D’abord, il m’aide à éviter des situations difficiles, comme quand je suis à un comptoir à cafés et que je ne me souviens plus pourquoi je suis là ou ce que je dois faire. Avec ce cordon, je sais que les gens le remarquent et cela peut me donner un peu plus de souplesse. Je le porte aussi pour montrer aux gens qu’une personne atteinte de démence peut choisir seule ses bananes ou ses pommes et discuter avec une autre personne dans le magasin. Cela envoie un message puissant qui, je l’espère, encouragera les gens à en parler à leur entourage. Et je pense qu’il est aussi très important de montrer les difficultés qu’on peut rencontrer en vivant avec la démence.
 
Allison :
Vous avez mentionné tout à l’heure que chaque personne a ses propres expériences. Avez-vous des anecdotes qui montrent la stigmatisation que vous essayez d’éviter dans votre travail?
 
Jim :
Oh oui, beaucoup. Je connais un collègue qui était membre de longue date de son club de golf. Il était la personne de référence. Les membres venaient toujours lui poser des questions sur les règles, il organisait les soirées, collectait l’argent, établissait le programme, etc. Mais dès qu’ils ont appris son diagnostic, tout a changé. Plus personne ne venait le consulter pour des questions ou des éclaircissements. Ils ont immédiatement pris en charge l’organisation des soirées en disant : « Ne t’inquiète pas, nous nous en occupons. » Pour moi, c’est un parfait exemple du stéréotype associé à la démence, qui équivaut à de la stigmatisation. Ce stéréotype fait que, dès qu’une personne reçoit un diagnostic, on la considère comme incapable de faire quoi que ce soit. Personnellement, j’ai vécu une expérience similaire aux urgences avec ma femme. Dans une salle d’urgence très achalandée, l’infirmière criait les noms en disant : « Uniquement le patient. » Quand elle a appelé mon nom, ma femme et moi nous sommes levés, et alors que nous nous rapprochions, l’infirmière a répété : « Uniquement le patient. » Lorsque nous sommes arrivés, je lui ai dit « J’ai l’Alzheimer. J’ai besoin que ma femme soit avec moi. » L’infirmière m’a alors regardé de haut en bas et a répondu : « Eh bien, vous avez l’air de bien aller. » Ça a été très stigmatisant. Très offensant aussi. Pour moi, c’est l’exemple parfait de la stigmatisation associée à la démence : la personne atteinte de démence n’est plus perçue comme une personne, mais comme un stéréotype. Quelqu’un qui est frêle, qui est vieux, qui a forcément besoin d’un fauteuil roulant. J’ai aussi vu cela dans l’expérience de ma mère, qui vivait en résidence indépendante malgré son diagnostic de démence. Un jour, je suis passé la voir à la fin de son heure de dîner. Mais en entrant dans la salle à manger. Il y avait quatre personnes à la table où elle s'asseyait habituellement. Aucune d’elles n’était ma mère. J’ai alors demandé « Où est ma mère? » On m’a montré une table dans un coin en disant : « Oh, elle a changé de table. » J’imagine qu’ils en avaient assez d’entendre les mêmes histoires, les mêmes questions, etc. C’était assez troublant de la voir ainsi isolée.
 
Allison :
Ça fend le cœur. Être exclue au moment où elle avait le plus besoin d’interaction sociale, c’est terrible. Au cours de l’émission, nous avons parlé des différents facteurs de risque de la démence, comme l’isolement social, le manque d’activité intellectuelle ou physique, la dépression, etc. Selon vous, quelle est l’incidence de la stigmatisation sur ces facteurs de risque?
 
Jim :
Eh bien, quand on reçoit un diagnostic, et même avant, la stigmatisation nous affecte de manière directe et importante, car on a déjà le stigma de la démence en tête. C’est tellement effrayant qu’on ne veut le dire à personne. Une fois, J'ai partagé une tribune avec un couple qui a révélé qu’il avait dit à ses amis et voisins que le mari avait eu une série de petits AVC, plutôt que d’admettre qu’il était atteint de la maladie d’Alzheimer ou de démence. Cela m’a vraiment marqué, ce sentiment de honte lié à la démence.
 
Allison :
Pensez-vous que la stigmatisation empêche les gens de ne pas recevoir de diagnostic en premier lieu?
 
Jim :
Je pense qu’il est juste de dire que cela arrive. Même si une personne reçoit un diagnostic, la stigmatisation peut persister. Par exemple, une personne qui pourtant venait à notre groupe de soutien à une certaine période s'est complètement fermée sur elle-même après avoir reçu son diagnostic. Elle n’a même pas dit à sa fille qu’elle avait reçu un diagnostic et ne sortait que lorsque c’était vraiment nécessaire. C’est ça, la stigmatisation. il y a un mot … mais je ne me rappelle plus. Mais la stigmatisation pousse les gens à s’isoler et à éviter la socialisation, favorisant ainsi la solitude. C’est à mes yeux la partie la plus triste.
 
Jay :
Jim, à la lumière de ce que vous avez dit, il me semble que la responsabilité du changement ne repose pas sur les personnes possiblement atteintes de démence, mais sur nous tous. La question est donc : comment pouvons-nous changer les attitudes des gens pour réduire et, espérons-le, éliminer ce type de stigmatisation?
 
Jim :
Je pense qu’il est important de parler ouvertement du diagnostic de démence. Je pense que les gens tirent de réels bénéfices d’entendre les expériences, d’entendre des témoignages de personnes atteintes de démence. Parce que sinon c’est seulement théorique pour eux s’ils n’ont jamais eu de contact avec quelqu’un dans cette situation. Aussi, le partage des expériences vécues est ce qui aide à réduire les mythes et les stéréotypes sur la démence.
 
Le projet mentionné dans l’introduction, le projet Flipping Stigma, auquel j’ai pris part, vise précisément à cet objectif. Le guide a été conçu par un groupe d’action composé de personnes atteintes de démence et se concentre sur la stigmatisation. À travers ce guide, les membres du groupe partagent leurs expériences ou parlent de la manière dont ils gèrent la stigmatisation. C’est avec ce type d’outils de communication, en entendant des gens avec une expérience vécue, que vous aurez un impact sur la stigmatisation. Les sondages montrent que les Canadiens ont peur de la démence, et qu'elle les met mal à l’aise. Donc, plus nous en parlerons, et plus nous pourrons faire de balados comme celui d’aujourd’hui, plus nous aurons de chances de réduire la stigmatisation dans l’ensemble du pays et, espérons-le, dans le monde entier.
 
Allison :
Lorsque nous avons parlé avec Myrna, elle a mentionné la stigmatisation subtile. Avez-vous des conseils pour aider les personnes bien intentionnées à éviter ce type de stigmatisation?
 
Jim :
Je pense que la chose la plus importante est de parler directement à la personne, sans l’ignorer. Comme vous en avez discuté avec Myrna, certaines personnes atteintes de démence aiment recevoir des indications, comme « Oh, Est-ce le mot que vous cherchez ». D’autres personnes n’aiment pas ça, parce que ça les décourage tout de suite. Personnellement, je n’aime pas recevoir d’indications, car cela me fait perdre le fil de mes pensées. Le principal problème est la supposition immédiate d’incapacité. On passe de « Je serai capable de le faire un jour » à « Oh, nous allons le faire pour vous ».
 
Allison :
Ouais. C’est intéressant, car si on voit quelqu’un en fauteuil roulant, il ne faut pas présumer de ce que cette personne peut ou ne peut pas faire. On peut demander à la personne si elle veut de l’aide. Mais, il ne faut pas tenir pour acquis qu’on doit pousser son fauteuil roulant sans demander.
 
Jim :
Tout à fait.
 
Allison :
Mais pour une raison ou une autre, cette logique n’est pas appliquée dans le domaine de la démence.
 
Jim :
Oui. Je pense que c’est surtout parce que la démence est une maladie invisible. Comme l’infirmière qui m’a dit en me regardant : « Eh bien, vous avez l’air de bien aller. » Eh bien, oui, j’ai l’air de bien aller.
 
Jay :
Oui, vous avez l’air d’aller plutôt bien en ce moment.
 
Jim :
Merci.
 
Jay :
J’ai une question un peu étrange, mais je vais quand même vous la poser. Une chose qui manque souvent dans les conversations sur la demence, c’est l’humour, parce qu’il s’agit d’un sujet sérieux. Pourtant, l’humour est le meilleur moyen pour désamorcer les tensions dans une conversation. Pensez-vous qu’on pourrait intégrer un peu d’humour dans notre lutte contre la stigmatisation?
 
Jim :
Oh, oui, il y a toujours de la place pour l’humour. L’humour peut souvent […] il y a ce mot […] rendre les gens plus à l’aise. On rit de soi-même. On rit de ce qui est arrivé. Je ne l’ai pas encore fait, mais par exemple, mettre les clés de maison dans le congélateur ou autre chose. On en rit, sinon on s’en voudrait une journée entière. Rire permet de détendre les gens, en rendant drôles ses expériences de vie. J’essaie, certainement.
 
Allison :
C’est un excellent conseil pour tout le monde  je pense. Depuis votre diagnostic en 2007, vous avez dirigé des recherches et vous avez parlé à des milliers de personnes et vous en avez inspiré tout autant. Selon vous, où en sommes-nous dans la lutte contre la stigmatisation associée à la démence?
 
Jim :
J’aime à penser que nous progressons. Il me semble que, depuis quelques années, les médias parlent de plus en plus de la démence. De plus en plus de gens en parlent parce que nous devons changer de discours.
 
Allison :
Jim, vous nous avez aidés aujourd’hui à amorcer ce changement. Je tiens à vous remercier chaleureusement pour votre présence et pour tout ce que vous faites.
 
Jim :
Merci beaucoup Allison.
 
Jay :
Oui. Merci Jim.
 
Jim :
Merci Jay.
 
Allison :
Jim Mann est un défenseur des personnes atteintes de démence, chercheur, auteur et bénévole. La ressource de lutte contre la stigmatisation mentionnée par Jim est Flipping Stigma. Vous pouvez la consulter sur le site flippingstigma.com. Nous mettrons le lien dans les notes de l’épisode. Jim nous a parlé depuis Surrey, en Colombie-Britannique.
 
Jay :
Allison, ces deux personnes, Myrna et Jim, sont vraiment impressionnantes. Elles m’ont fait réaliser, d’une manière que je n’avais peut-être jamais perçue avant, que la démence est un terme très, très large. Il y a des personnes qui luttent et d’autres, comme elles, qui triomphent. Dès que l’on comprend ça, je ne vois pas pourquoi nous ne devrions pas tous faire un effort pour voir la personne atteinte de démence sous son meilleur jour et nouer le dialogue avec elle. Peu importe le résultat, je pense que c’est une démarche que nous devrions tous soutenir. Il est crucial de reconnaître qu’il y a des gens comme eux, car cela contribuera à réduire la stigmatisation.
 
Allison :
Oui, il y a un proverbe qui dit : « Si vous avez rencontré une personne atteinte de démence, vous n’avez rencontré qu’une seule personne atteinte de démence. » Parce que tout le monde est différent. Jim a parlé de la manière dont nous pouvons aborder les formes subtiles de stigmatisation. Il a dit qu’il fallait parler à la personne, découvrir ce qu’elle souhaite et ce dont elle a besoin, et reconnaître son humanité.
 
Jay :
Pour en savoir plus sur la façon de réduire le risque de démence ou de ralentir sa progression, rendez-vous sur défier la démence (point) org
 
Allison :
Vous y trouverez les autres épisodes du balado, ainsi que nos vidéos, des images infographiques et d’autres ressources.
 
Jay :
Notre équipe de production pour ce balado est composée de Rosanne Aleong, Helen Chen et Sylvain Dubroqua. Notre réalisateur-chasseur est Ben Schaub. La production est assurée par PodTechs. La musique a été composée par Steve Dodd et le dessin pour la page de couverture a été réalisé par Amanda Forbis et Wendy Tilby.
 
Allison :
Un énorme merci aux personnes qui nous ont conseillés pour cet épisode : Dre Deborah O’Connor, de l’Université de la Colombie-Britannique, et Lynn Jackson, défenseure des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
 
Jay :
Nous tenons aussi à remercier le Centre d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement, et Baycrest, qui ont financé ce balado.
 
Allison :
Également, votre soutien est grandement apprécié. Veuillez cliquer sur le bouton d’abonnement pour suivre Défier la démence sur Spotify, Apple Podcasts, ou toute autre plateforme où vous écoutez vos balados. N’oubliez pas de laisser un j’aime, un commentaire ou une note de cinq étoiles. C’est très apprécié.
 
Jay :
Dans le prochain épisode de Défier la démence, nous vous présenterons la toute dernière liste des facteurs de risque de la démence. La très influente commission internationale des scientifiques, qui détermine ces facteurs, s’apprête à annoncer de nouveaux ajouts à sa liste. Nous discuterons avec le scientifique en chef de la commission et verrons ce qu’une personne peut faire face à autant de facteurs de risque. Je m’appelle Jay Ingram.
 
Allison :
Et moi, Allison Sekuler. Merci d’avoir écouté Défier la démence. Et n’oubliez pas : il n’y a pas d’âge pour prendre soin de son cerveau.