Écouter À proposde nous Ressources supplémentaires Versionanglaise Donner Défier la démence : Alléger la charge cognitive par la vision et l’audition Laurie: Mon cerveau était confus et j’appelais cela de la fatigue mentale. Je rentrais du travail, mon mari me regardait droit dans les yeux et il disait : "Ouais, tu es épuisée. Tu as passé trop de temps à écouter et à essayer de comprendre aujourd'hui." Jay: C'était Laurie Harris. Elle habite en Colombie-Britannique et a une histoire captivante sur la façon dont la surdité partielle a affecté sa vie et son cerveau. Vous allez rencontrer Laurie dans un instant. Allison: Bienvenue à Défier la démence, un podcast pour tous ceux qui ont un cerveau. Pour tout savoir sur la manière de préserver la santé de son cerveau et diminuer les risques de développer une démence. Jay: Dans l'émission d'aujourd'hui, nous parlons de la perte sensorielle et de son lien avec la démence. La diminution de la vision ou de l'audition peut-elle augmenter le risque de démence ? Plus important encore, que pouvez-vous faire pour réduire ce risque ? Allison: Je suis Allison Sekuler, présidente et scientifique en chef de l'Académie Baycrest pour la recherche et l'éducation, ainsi que du Centre pour l'innovation en vieillissement et santé du cerveau. Jay: Je suis Jay Ingram, écrivain et communicateur scientifique. Je m'intéresse à la démence à la fois sur le plan personnel et professionnel. Allison: Défier la démence vous offre des informations qui peuvent vous aider à réduire vos risques de développer une démence, voire ralentir son évolution si vous avez déjà été diagnostiqué. Jay: La démence n'est pas entièrement déterminée par la génétique. Bien que celle-ci puisse jouer un rôle, son influence est généralement moins significative que ce que la plupart des gens imaginent. De nombreux autres facteurs, tels que la condition physique, l'alimentation, le sommeil et la vie sociale, peuvent également contribuer à augmenter les risques. Heureusement, il existe des mesures que vous pouvez prendre pour réduire ces risques. Allison: C'est parce qu'il n'est jamais trop tôt ni trop tard pour prendre soin de votre cerveau. Qu'est-ce que la démence? La démence est une perte du fonctionnement cognitif, comme la pensée, la mémoire et le raisonnement, qui interfère avec la vie quotidienne et les activités d'une personne. La gravité varie du stade le plus léger, où cela vient tout juste d'affecter le fonctionnement d'une personne, au stade le plus sévère où la personne doit dépendre complètement des autres pour des activités de base, comme se nourrir. Jay: En réalité, la démence est un terme général, pas un trouble spécifique. Alzheimer est un type de démence, de loin le plus courant, mais il en existe d'autres comme la démence fronto temporale, la démence à corps de Lewy et la démence vasculaire. Dans chacun de ces cas, il y a une détérioration progressive des cellules nerveuses, des neurones, et des connexions entre elles. Au fil du temps, le cerveau perd progressivement les capacités mentionnées par Allison, la pensée, la mémoire et le raisonnement. Allison: Comme nous l'avons déjà souligné, la démence ne dépend pas uniquement de nos gènes. En réalité, les variants génétiques responsables de la démence ont été identifiés chez un nombre relativement restreint de personnes. Ainsi, le fait que votre grand-mère ou votre grand-père ait eu une démence ne signifie pas que vous en serait atteint. Jay: C'est vrai. Il y a beaucoup d'autres facteurs de risque. Certains d'entre eux augmentent le risque autant, voire plus que les gènes, et certains facteurs de risque peuvent être contrôlés tandis que d'autres ne le peuvent pas, comme vous ne pouvez pas contrôler votre age autant que vous le voudriez. Et c'est le plus gros facteur de risque pour la démence. Allison : C'est vrai. Mais selon le rapport commandé par la revue médicale The Lancet, il existe au moins une douzaine de facteurs de risque modifiables différents, qui représentent au moins 40% des cas de démence. Cela signifie que, théoriquement, on peut réduire en partie le risque de développer une démence par des changements de mode de vie. Jay : Défier la démence vous propose d’identifier ces facteurs de risque et de vous aider à comprendre comment vous pouvez agir pour les réduire. Chaque émission se concentrera sur un facteur de risque différent comme l'alimentation ou la condition physique, et certains de ces facteurs de risque pourraient vous surprendre. Attendez-vous à l'inattendu. Nous aurons l'occasion d'interviewer des experts spécialisés dans l'étude de ces facteurs de risque, afin de partager avec vous les dernières avancées scientifiques de manière accessible et compréhensible. Allison : Vous aurez également l'occasion de rencontrer un large éventail de personnes âgées qui partageront des histoires inspirantes sur la façon dont elles ont fait face à ces facteurs de risque, réduit leurs risques, voire vécu avec un diagnostic de démence, tout en profitant pleinement de leur existence. Jay : Restez à l'écoute pendant que nous vous présentons les avancées scientifiques, partageons des histoires inspirantes et des conseils pratiques pour mener une vie plus saine. Ensemble, nous défierons la démence grâce aux progrès scientifiques. Et maintenant, passons à notre émission. Allison : Laurie Harris a appris qu'elle avait une déficience auditive quand elle était enfant. Elle a été diagnostiquée à l'âge de six ans et a commencé à porter des appareils auditifs à l'âge de 24 ans. Elle a maintenant 58 ans et vit en Colombie-Britannique où son travail consiste à rechercher des solutions d'assistance non médicale pour aider les personnes âgées à rester chez elles le plus longtemps possible. Jay : Laurie n'a pas été diagnostiquée avec une démence, et ne connaît pas les facteurs de risque associés à cette maladie, mais elle est déterminée à déjouer les pronostics. Bienvenue dans Défier la Démence. Laurie : Merci beaucoup. C'est un plaisir d'être ici. Jay : Laurie, c'est un plaisir de vous avoir parmi nous. Lorsque vous étiez plus jeune, comment avez-vous géré la perte auditive? Laurie : Je pense que ma famille a dû s'adapter davantage que moi. Quand j'étais jeune, je ne réalisais pas vraiment que j'avais un problème auditif, car j'entendais encore et je vivais normalement. Maintenant, en y repensant et en discutant avec ma famille, j'entends des histoires qui parlent davantage de leur apprentissage à eux pour s'adapter à moi plutôt que moi m'adaptant au monde. Jay : Est-ce qu'ils vous ont convaincu de commencer à utiliser des appareils auditifs ? Laurie : Non, ils n'ont rien à voir avec ça. Le truc drôle, c'est que j'étais à l'université à l'époque, en colocation avec deux copines. Nous étions en train de marcher ensemble jusqu'au supermarché. L'une d'elles a posé une question, j'ai répondu pamplemousse et beurre de cacahuète. Les deux m'ont regardé comme si j'étais un Martien. J'ai dit : "Oh, je suppose que j'ai répondu à la mauvaise question. À ce jour, je n'ai aucune idée de ce qu'elles ont réellement demandé, mais c'est à ce moment-là que j'ai réalisé que ma vie devenait vraiment dysfonctionnelle. J'ai pris la décision de porter des aides auditives moi-même après avoir été pas mal embêté par ces copines qui me disaient : "Nous portons des lunettes, Laurie, parce que nos yeux sont faibles. Donc, tu devrais porter des prothèses auditives parce que ton audition est mauvaise." Allison : Une fois que vous avez commencé à utiliser des appareils auditifs, comment est-ce qu'ils vous ont aidé ? Laurie : Oh mon Dieu, énormément, ça a changé ma vie et maintenant je ne peux pas fonctionner sans eux. Je n'entends littéralement rien sans eux, donc cela m'a permis de vivre ma vie. Cela m'a permis de maintenir des relations et d'avoir une carrière. Je serais perdue sans eux. Allison : Est-ce juste une question de volume, est-ce que cela rend les sons plus forts, ou est-ce qu'il y a autre chose que cela aide? Laurie : Non, en fait, le volume sonore peut parfois être un inconvénient. Votre cerveau doit apprendre à surmonter cela. Le volume, c'est autant une question de direction que d'intensité, tous les éléments entrent en jeu. Cela m'aide simplement à rassembler tous les sons et le contexte, et à les comprendre. Allison : Y a-t-il eu donc un processus d'apprentissage? Il semble que vous deviez apprendre non seulement à entendre qu'il y avait des sons qui arrivaient, mais aussi comment ils s'assemblaient. Laurie : Oui, c'est un processus d'apprentissage qui accompagne généralement la perte auditive. Nous nous appuyons tous sur le langage corporel pour comprendre. Nous lisons tous sur les lèvres dans une certaine mesure. Nous comprenons tous une conversation en fonction du contexte. Lorsque l'ouïe commence à disparaître, on se repose davantage sur ces autres modalités. On se repose davantage sur la lecture des lèvres, sur le langage corporel, sur le contexte de la conversation. Si quelqu'un change immédiatement de sujet, votre cerveau s'active pour essayer de comprendre où vous en êtes. Cela a été un processus d'apprentissage. Jay: Quand avez-vous réellement fait le lien entre la perte auditive et le fonctionnement de votre cerveau? Laurie: Vers la trentaine, quand j'ai trouvé cet audiologiste génial qui m'a aidé à comprendre ce qui se passait exactement. C'est lui qui m'a vraiment expliqué toutes les modalités de conversation et comment nous nous adaptons lorsque l'une d'entre elles disparaît. J'avais probablement 30 ans quand j'en ai réellement pris conscience. Quand j'ai atteint l'âge de 50 ans et que les choses ont commencé à aller moins bien, c'est là que j'ai vraiment commencé à remarquer que cela affectait de manière significative ma vie quotidienne. Jay: Pouvez-vous me donner un exemple de la manière dont cela affectait votre vie quotidienne à ce moment-là? Laurie: C'est intéressant, j'ai eu une commotion cérébrale il y a environ 12 ans. Quand j'ai atteint 50 ans, il y a huit ans, tout à coup, j'ai eu l'impression de revivre cela. Je savais que je n'avais pas à nouveau une commotion cérébrale, Mon cerveau était confus et j’appelais cela de la fatigue mentale. Je rentrais du travail, mon mari me regardait droit dans les yeux et il disait : "Ouais, tu es épuisée. Tu as passé trop de temps à écouter et à essayer de comprendre aujourd'hui." Il s'agit de rassembler tous les sons et le contexte pour comprendre ce qui est réellement dit. Tout cela demande tellement d'énergie à notre cerveau qu'à la fin de la journée, il ne reste pas toujours grand-chose. Cela entraîne toutes sortes de problèmes. Allison: Cet effort mental dont vous parlez, comment avez-vous pris conscience que la perte auditive et cet effort mental étaient des facteurs de risque de démence ? Laurie: J'ai lu quelque part que les deux étaient liés. Je me suis juste dit : "Oh mon Dieu. Je comprends comment et pourquoi cela se produit et je suis à risque." Allison: Pour vous, la perte auditive était présente depuis votre jeune âge, mais pour d'autres, elle peut survenir progressivement. Beaucoup de personnes connaissent la perte de vision. Tout le monde commence à porter des lunettes vers l'âge de 40 ans, mais tout le monde ne sait pas que l'ouïe change aussi progressivement avec le temps. Pensez-vous qu'il y ait une différence pour vous, du fait que vous viviez déjà avec une perte auditive, qui vous rende plus consciente de cette fatigue mentale ou de cette surcharge cognitive que d'autres personnes pourraient ne pas remarquer ? Laurie: Très certainement. Je pense que je suis devenue très familière avec l'idée de fatigue mentale. J’ai appris que cela s'appelle de la surcharge cognitive que récemment. Cela a peut-être été un processus plus facile pour moi, car j'ai vécu toute ma vie avec une perte auditive et j'ai appris à m'épanouir malgré cela, du moins jusqu'à récemment. Mais mes parents et mon mari, maintenant dans les 80 et 70 ans, viennent tout juste de commencer à porter des aides auditives. Je ne pense pas que, sans mon expérience, ils auraient pris conscience de la surcharge cognitive. Jay: Les audiologistes affirment qu'il faut environ sept ans entre le moment où l'on commence à prendre conscience de sa perte auditive et le moment où l'on fait réellement vérifier son audition. Laurie, quel conseil donneriez-vous aux personnes qui se trouvent dans cette période de sept ans où elles pourraient être conscientes de leur perte auditive, mais n'ont encore rien entrepris à ce sujet? Laurie: Faites-le. Je souligne cela en ayant conscience que le coût des appareils auditifs est prohibitif. Dans de nombreux cas, cela peut être incroyablement cher. Mais allez chez l'audiologiste, faites un test, obtenez une référence de base dans votre dossier, ne serait-ce que pour que lorsque vous sentez que l'année prochaine vous avez perdu un peu d’audition, vous puissiez retourner faire un test et disposer de données solides sur votre éventuelle perte auditive ou s'il pourrait y avoir autre chose en jeu. Allison : C'est incroyable. Vous donnez l'impression d'être une personne très optimiste. Je me demande, y a-t-il encore des difficultés auxquelles vous êtes confrontée en raison de votre surdité partielle et de la surcharge cognitive? Laurie : Je vais devoir vous demander de répéter cela car je n'ai pas compris. Bienvenue dans ma vie. Allison : Vous semblez être une personne optimiste. Nous nous demandons s'il y a encore des difficultés liées à la surdité partielle et à la surcharge cognitive ? Laurie : Absolument. J’aime voir la vie en rose. Je choisis de voir la vie de manière très positive, sinon je serais en larmes. C'est juste difficile, mais il faut continuer. Jay : Oui, c'est difficile. Mais Laurie, vous êtes un excellent exemple de la façon de faire face lorsque cela vous arrive. Merci beaucoup de vous être joint à nous. Laurie : Eh bien, merci beaucoup de m'avoir invitée. C'était amusant. Allison : Laurie Harris est une femme de 58 ans qui vit avec une perte auditive. Notre prochain invité a écouté l'histoire de Laurie. Jay : Le Dr Walter Wittich est professeur associé à l'École d'optométrie de l'Université de Montréal. Il étudie la réadaptation des personnes âgées présentant une perte combinée de la vision et de l'audition, et il a un intérêt personnel dans cette histoire. Lui et son mari sont les aidants de sa belle-mère. Elle souffre de démence vasculaire et de la maladie d'Alzheimer. Allison : Dr Wittich, ravi de vous recevoir. Walter : Merci beaucoup de m'avoir invité. C'est un plaisir de passer du temps avec vous aujourd'hui. Allison : Qu'est-ce qui vous a frappé dans l'histoire de Laurie lorsque vous l'écoutiez parler ? Walter : Je pense que le mot-clé auquel il faut s'accrocher est le mot effort. Je pense que nous utilisons le mot effort tous les jours. Il a différentes significations, mais cela signifie essentiellement que quelque chose est difficile et que vous devez y réfléchir, ou que vous devez travailler plus dur pour obtenir ce que vous voulez. Dans le contexte de la perte sensorielle, qu'il s'agisse d'une perte de l'ouïe ou de la vue, les règles sont plus ou moins les mêmes. Vous devez travailler plus dur pour avoir accès à ce qui vous intéresse. L'effort va jouer un rôle. L'effort est une barrière, et nous devons la surmonter. Jay : Dr Wittich, nous devrions signaler de nouveau que Laurie n'a pas été diagnostiquée avec une démence, elle ne sait même pas qu’elle est à risque d’en développer une. La situation qu'elle a décrite, comme vous le savez, c’est de s'épuiser mentalement en décodant le monde qui l'entoure, a cause de ses problèmes d’audition. Dans quelle mesure décrit-elle un facteur de risque connu de la démence ? Walter : La perte de l'audition a été identifiée comme le plus gros facteur de risque potentiellement modifiable de la démence, en particulier si la perte de l’audition est présente à un âge moyen ou avancé, elle influencera et nous mettra en danger de développer une démence plus tard. Maintenant, ce que je ne peux pas dire, c'est qu’il y a une relation de cause à effet. Nous n'avons pas encore suffisamment de preuves pour dire que cette perte auditive va causer une démence plus tard, mais elles sont liées. Il existe des liens que nous étudions actuellement. La bonne nouvelle, c'est que, par exemple, si vous faites de l'exercice, vous voulez vous préparer. Vous voulez renforcer vos muscles maintenant, comme ça, si vous en perdez un peu plus tard, vous aurez déjà une longueur d’avance. Plus, vous pouvez vous préparer, et par exemple, je suis très heureux de voir que Laurie est activement engagée dans la vie en utilisant les aides auditives. Ce sont toutes ces mesures proactives qui la préparent à vivre avec une perte sensorielle. Sachant cela, il se peut qu’elle vieillisse complètement normalement. C'est juste un peu plus d'effort. Allison : Plus d'effort. Vous avez parlé du fait qu’a la suite d’une perte de l'audition, plus d'efforts sont nécessaires. Que pouvez-vous nous dire sur la perte de vision? Y a-t-il un problème similaire que les gens rencontrent? Walter : Avec l'audition, il est évident que vous devez fournir plus d'efforts pour écouter. Dans la vision, l'effort se porte souvent sur la lecture. Vous devez maintenant investir plus de temps, plus d'énergie ou plus de techniques pour agrandir quelque chose. Parfois, cela peut devenir difficile. C'est comme si toutes les choses se ressemblaient, et donc soudainement l'effort se porte sur le décodage d'un signal visuel, mais le problème d'accès au contenu est le même qu’avec l'audition. Allison : Est-ce que la vision et l'audition interagissent? Walter : Je pense que oui, elles peuvent s'aider mutuellement. La perception audiovisuelle de la parole, par exemple, est quelque chose que je devais expliquer et maintenant je ne le fais plus, parce que tout ce que j'ai à faire, c'est dire : "Vous vous souvenez quand vous portiez tous des masques?" Le moment où nous avons enlevé cette information visuelle, de pouvoir voir les lèvres de quelqu'un, ou leur sourire, ou juste faire un clin d'œil pour indiquer que c'était ironique. Tout cela a disparu d'un coup derrière les masques, et nous n'avions plus accès à l'élément visuel de la compréhension de la parole. Maintenant cela est plus intuitif pour les gens. Pourquoi? Au fur et à mesure que nous vieillissons, la vision et l'audition, ensemble, sont importantes pour nous donner accès au monde qui nous entoure. Elles se soutiennent mutuellement. Le moment où l'une d'elles devient plus faible, généralement l'autre travaille un peu plus dur, et donc tout va bien. Mais au moment où elles sont toutes les deux diminuées d'une certaine manière, vous approchez de ce que j'appelle une falaise perceptive. À un moment donné, cela ne fonctionnera plus. Et c’est là que les gens commencent vraiment à vivre avec une double perte sensorielle et ont besoin de pallier cette perte de manière complètement nouvelle. Jay : Dr Wittich, vous avez mentionné que la perte auditive est considérée comme l'un des risques les plus importants pour la démence. Est-ce que les preuves, qu'il s'agisse de corrélation ou de causalité, sont aussi solides pour la vision ? Walter : Les preuves existent, mais en réalité, il y a simplement moins de recherches pour nous permettre de faire le même raisonnement. Il y a une équipe de recherche, à John Hopkins, qui travaille sur un modèle original qui inclut la vision. Il s'avère que si vous disposez de suffisamment de données et que vous incluez la vision dans l'analyse, elle émerge comme un facteur de risque supplémentaire, mais pas aussi important que l'audition. L'audition reste toujours le plus important facteur de risque. Ce qui m'intéresse vraiment, à l'avenir, c'est de savoir s'il y a une interaction entre la vision et l'audition. Nous n'avons pas encore suffisamment de données qui peuvent réellement nous dire si, lorsqu'il y a perte de la vision et de l'audition, le risque se multiplie. Mais il y a une intuition ici. Allison : S'il existe un lien entre la perte sensorielle, qu'il s'agisse de l'audition ou de la vision, et un risque accrue de démence, pas nécessairement causal, mais juste une corrélation, est-ce qu'il y a quelque chose que les gens peuvent faire pour améliorer leurs sens et réduire ce risque ? Walter : Notre combat contre les facteurs de risque modifiables est un combat difficile. La vie est complexe. Il s'avère que tout interagit avec tout. Rien n'existe seul. Si vous regardez les différentes théories qui existent, il se pourrait très bien que la vision, l'audition et le déclin cognitif soient tous causés par la même chose. Il se pourrait que ce soit simplement le vieillissement. Il peut y avoir un facteur biologique sous-jacent. Le meilleur conseil, est de rester aussi jeune que possible, aussi longtemps que possible. Il pourrait très bien y avoir une relation de cause à effet, c’est en train d'être étudiée, si la perte de la vision et de l’audition empêche votre cerveau d'être stimulé et actif. Une théorie à laquelle j'adhère propose que la perte sensorielle rende les gens socialement moins actifs. Nous savons que le fait d'être socialement moins actif est également un précurseur de changement cognitif. Maintenant, on peut penser que c’est l’isolement social qui produit ces changements cognitifs mais en réalité c’est la perte sensorielle. Dans le contexte de la réadaptation, qui est bien sûr mon domaine, surtout chez la personne vieillissante, nous avons un grand avantage : les gens ne deviennent pas simplement aveugles et sourds. Vous perdez un peu de vision, vous perdez un peu d'audition, et dans le cadre de la réadaptation, il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour renforcer votre capacité à utiliser au mieux ce qui est encore là. Jay : J'ai une question spéculative, peut-être un peu farfelue. Si vous prenez quelqu'un comme Helen Keller qui était à la fois aveugle et sourde, avait-elle un risque plus élevé de développer une démence en ayant perdu ou jamais eu ces sens? Walter : C'est une excellente question. Une collègue aveugle a posé exactement cette question lors d'une conférence sur la vision il y a quelque temps. Les gens parlaient du danger de développer une déficience visuelle et de ne plus pouvoir faire ceci ou cela. Elle a pris le micro et a dit : "Eh bien, je suis aveugle et je peux le faire". En revenant a notre idée initiale d'effort. Je pense que si vous avez vécu toute votre vie avec une bonne vue et une bonne ouïe, vous devez investir plus d'efforts quand il y a des changements qui se produisent. Si on regarde quelqu'un qui est naît aveugle ou sourd, il développe simplement une façon différente de faire les choses. Il se peut aussi qu'il n'ait pas la même perception de l'effort, car cela a toujours été ainsi. Ils évoluent dans ce cadre de possibilités. S'il développait maintenant une troisième perte, par exemple s'il développait une neuropathie, l'utilisation du braille pourrait demander plus d’effort. Allison : Que peuvent faire les personnes qui développent une perte auditive ou une perte de vision au fil du temps, par opposition à des personnes comme Helen Keller, pour réduire leur risque de démence liée à la perte sensorielle ? Le port d'une prothèse auditive, ou d'une paire de lunettes adaptées, est-ce que cela peut être utile pour les personnes ? Walter : Il y a, là encore, plusieurs réponses très intéressantes à cela. Nous portons des lunettes, et cela nous semble tout à fait normal. Cependant, il n'est pas encore socialement accepté de porter des prothèses auditives. Je ne dis pas que les prothèses auditives sont la seule solution, mais il y a une certaine stigmatisation dans tout cela. Je pense que c’est une dimension sociale à laquelle nous devons faire face en tant que groupe, en tant qu'espèce. Au lieu de nous juger mutuellement, nous devrions vraiment prendre soin les uns des autres. Mais, je pense que l'utilisation de certaines technologies d'assistance, comme les prothèses auditives, peut nous aider à rester fonctionnels malgré la présence d'une diminution sensorielle. Il existe des outils qui peuvent vous aider. La deuxième approche consiste à effectuer des changements dans son environnement et dans son comportement. Certains d'entre eux sont très simples. Si vous communiquez avec quelqu'un qui a un trouble de l’audition, lui donner le sujet de votre conversation au début, aidera à orienter vers un certain type de vocabulaire. Tout à coup, ils savent : "Oh, nous parlons de cette émission de télévision. Comment s'appelle le gars ?" Maintenant, vous cherchez déjà des mots et écoutez les choses dans ce contexte. Allison : Ou même des choses comme mettre les sous-titres lorsque vous regardez la télévision. Walter : Même lors d'un appel Zoom, cela est maintenant inclus gratuitement. Lorsque vous faites du télétravail, à cause de la stigmatisation, peut-être que les gens n’osent pas demander les sous-titres. C'est intéressant, vous devez continuellement vous affirmer un peu, dire ce dont vous avez besoin. En réadaptation, nous parlons souvent du fait que vous devez dépendre des autres pour devenir plus indépendant, et c'est l'un de ces aspects. Je dépends de la technologie pour retrouver un peu de mon indépendance. Pour cela, il faut s'exprimer. Allison : Indépendamment de la stigmatisation, est-ce que le fait d'avoir des prothèses auditives ou des lunettes, va aider les gens en réduisant la charge cognitive par exemple ? Walter : Oui. Je pense que, finalement, l'objectif de toutes ces interventions, et même si elles ne sont que des changements environnementaux, comme réduire le bruit dans la pièce, c'est de faciliter les choses. Dès que vous avez réduit l'effort, les gens sont plus enclins à s'engager et cela stimulera davantage leurs capacités cognitives. Jay : J’utilise les sous-titres car je porte moi-même des prothèses auditives. Parfois, lorsque vous avez les sous-titres, vous pouvez vous convaincre : "J'entends parfaitement ce qu'ils disent." Je couvre les sous-titres de ma main et tout à coup, je ne peux même plus comprendre. Les sous-titres sont importants. Walter : Oui. En fait, cela me rappelle une expérience que j'ai eue avec ma belle-mère. Comme elle est francophone, nous regardons la télévision à la maison en français pour qu'elle puisse être plus intéressée. Mais j'active les sous-titres en français, car c'est plus facile pour moi de comprendre les mots que je pourrais manquer. Quand elle a emménagé avec nous, j'ai commencé à utiliser les sous-titres peut-être seulement au bout de quatre ou cinq jours, car je n'étais pas toujours là. J'ai réalisé que lorsque je mettais les sous-titres, je pouvais observer un changement de comportement chez elle, qu'elle interagissait différemment avec la télévision. Parce qu'elle ne faisait pas qu'écouter ou regarder la télévision, elle la lisait. Soudain, les sous-titres l'aidait à surmonter une partie de sa perte auditive liée à l'âge, ce qui est normal à 92 ans, et cela l'aide encore aujourd'hui à s'impliquer avec ce qui se passe à la télévision. Jay : En repensant à Laurie, Dr Wittich, que devrions-nous retenir d'elle ? Quelles leçons pouvons-nous apprendre d'elle ? Walter : Tout comme Allison le mentionnait précédemment, Laurie est une personne optimiste, et c'est la meilleure façon de vivre. Je pense que peu importe les défis qui apparaissent ou qui nous attendent, il y a toujours quelque chose que vous pouvez faire. Il y a une solution juste au coin de la rue. Il faut parfois faire preuve de ténacité pour la trouver. Cela peut ne pas toujours être évident, mais nous avons assez de recul pour connaître beaucoup de choses sur les changements sensoriels et cognitifs. Nous devons juste aller de l'avant et trouver ce dont nous avons besoin pour vivre la meilleure vie possible. Allison : C'est formidable. Vous avez également mentionné votre belle-mère. Je me demande, puisque vous travaillez en tant que chercheur sur le vieillissement, l'audition, la vision et la démence, comment votre expertise vous aide-t-elle, vous et votre mari, lorsque vous vous occupez de votre belle-mère qui souffre de démence vasculaire et d'Alzheimer ? Walter : C’est difficile de répondre. Le fait est que nos vies sont remplies de choses. Être un aidant est un autre niveau d’investissement, on s'investit souvent au-delà de l'énergie que l'on a pour être simplement curieux. J'essaie de trouver des moments où je peux me lier avec ma belle-mère, par exemple, en utilisant des stratégies de communication. Je sais comment faire. Je sais comment attirer son attention. Je sais comment l'aider pour qu'elle puisse m'entendre et me voir plus facilement. Mais il faut trouver un équilibre entre cela et les réalités du quotidien. Ce que je dis, et qui résonne souvent chez les gens, c'est que si vous vivez avec une diminution sensorielle ou cognitive, la meilleure façon de vous protéger est de rester actif physiquement, socialement et mentalement. Ces trois choses dépendent toutes de vos capacités sensorielles. Si vous ne voyez ou n'entendez pas bien, ces trois choses deviennent plus difficiles. Eh bien, ces trois choses sont celles qui vous protègent le plus. Si j'ai une suggestion pour les gens, c'est simplement de bien prendre soin de sa vision et son audition afin de rester physiquement, mentalement et socialement actif dans la vie. Jay : Dr Wittich, en dehors de tout ce dont nous avons parlé, le fait de vivre avec votre belle-mère et qu'elle ait une démence, nous savons tous que c'est très difficile. Avez-vous une façon particulière de le voir ou de l'aborder ? Walter : Pour moi, voir quelqu'un vivre avec un déclin cognitif progressif, c’est comme une affiche dans une vitrine de magasin qui est au soleil. Au fil du temps, après des mois, des années, elle s'estompe. On peut encore voir qu'il y a du bleu et du beige. On peut deviner à quoi ressemblait peut-être l'image avec une montagne, un arbre ou une maison, mais ce n'est pas la même image nette, colorée et vibrante qu'auparavant. C'est ce qui se passe quand je vois ma belle-mère s'estomper peu à peu avec le temps. Je pense que le mot qui décrit le mieux cette expérience est de voir quelqu'un s'estomper. Comme je l'ai dit, nous revenons à cette idée de ténacité. Il faut voir l'autre moitié du verre, celle qui est remplie, le temps que vous passez avec cette personne. Ce que j'ai à apprendre, que mon mari a à apprendre, c’est comment vivre la fin de la vie de quelqu'un, qui est tout aussi riche que le reste de sa vie. Allison : C'est très touchant votre façon d’expliquer, et il est clair que vous êtes un aidant aimant avec votre mari pour votre belle-mère. Je pense que cela vient en partie de l'idée que même si vous ne voyez plus cette image vibrante, vous savez qu'elle est là. Vous savez qu'elle est toujours la même personne, même si elle ne peut pas l'exprimer de la même manière. C'est vraiment touchant de vous entendre parler de l'amour que vous avez pour elle. Walter : C'était vraiment un plaisir de faire cette interview avec vous. C'est vraiment une expérience merveilleuse. Merci beaucoup. Jay : Le Dr Walter Wittich est professeur associé à l'École d'optométrie de l'Université de Montréal. Allison, l'impression que j'ai de la discussion avec Laurie et Walter, c’est que l'environnement joue un grand rôle. Nous parlons des sens, en particulier de l'audition et de la vision, mais c'est vraiment l’environnement dans lequel nous vivons et comment nous optimisons notre compréhension du monde qui nous entoure qui semble être important. Allison : Oui, et quand vous avez une perte auditive ou une perte de vision, le monde autour de vous devient juste beaucoup plus difficile à interpréter. C'est cet effort supplémentaire. Ce n'est pas nécessairement la perte de vision ou la perte auditive elle-même qui pose problème, mais c'est l'effort que vous devez déployer pour pouvoir comprendre le monde qui vous entoure. C'est tellement crucial. Je pense qu'il est aussi important de noter que nos invités ont tous deux souligné le fait qu'il faut faire attention à ses capacités sensorielles. Si vous constatez un déclin ou si vous vous inquiétez, agissez. Faites-vous prescrire une prothèse auditive, une ordonnance pour portez des lunettes, car cela vous aidera à limiter votre effort cognitif. Jay : Si vous souhaitez vérifier votre audition, nous proposons un test auditif en ligne gratuit. Vous pouvez le faire chez vous. Il se trouve sur le site web de Baycrest. Vous trouverez un lien dans les notes de l'épisode. Allison : Je l'ai utilisé et j'ai fait passer le test à toute ma famille. C'est facile et amusant. Ce n'est pas un substitut à une consultation avec un audiologiste, mais cela peut vous alerter sur une perte auditive que vous ignoriez. Jay : Pour en savoir plus sur le podcast Défier la démence, les vidéos et les infographies, rendez-vous sur defydementia.org. Allison : Notre équipe de production pour ce podcast est composée de Rosanne Aleong, Monique Cheng et Sylvain Dubroqua. Notre producteur associé est Ben Schaub, la production est assurée par PodTechs, la musique est de Steve Dodd et le dessin pour la page de couverture est réalisé par Amanda Forbis et Wendy Tilby. Jay : Un grand merci à l'Agence de santé publique du Canada qui a financé ce podcast. Les opinions exprimées ici ne représentent pas nécessairement celles de l'Agence de santé publique du Canada. Allison : Nous aimerions également avoir votre soutien pour notre podcast, alors cliquez sur le bouton d'abonnement sur Apple Podcasts, YouTube ou la ou vous obtenez vos podcasts. Je suis Allison Sekuler. Jay : Je suis Jay Ingram. Rejoignez-nous pour le prochain épisode de Défier la démence, où nous découvrirons comment la solitude impacte le cerveau et ce que vous pouvez faire à ce sujet.