Écouter À proposde nous Ressources supplémentaires Versionanglaise Donner David : Je dirais que, dans ce parcours contre la démence, tout ce qui peut faire sourire un proche est important. Il faut parfois créer des moments de bonheur et la musique est un merveilleux moyen de le faire. Allison : Vous venez d’entendre Dave Chase. Il est tombé amoureux de sa femme, Rena, lorsqu’ils étaient tous deux adolescents. Pendant presque soixante ans, ils ont dansé et chanté ensemble. Lorsque Rena a reçu son diagnostic de maladie d’Alzheimer, ils ont découvert que la musique était le meilleur recours. Vous entendrez leur histoire mélodieuse dans un instant. Jay : Bienvenue à Défier la démence, le balado pour quiconque a un cerveau. Allison : Défier la démence vise à proposer des modes de vie qui permettent de préserver la santé du cerveau et de réduire le risque de démence, car ce risque ne dépend pas seulement des gènes. Jay : La génétique peut jouer un rôle, mais des facteurs de risque liés au mode de vie, comme une mauvaise alimentation, l’isolement social et la solitude sont également de toute première importance. Allison : De plus, selon les dernières données disponibles, les scientifiques affirment aujourd’hui que si nous apportions des changements positifs aux facteurs de risque liés au mode de vie, nous pourrions réduire d’au moins 45 % le nombre de cas de démence dans le monde. Jay : Aujourd’hui dans l’émission, on parle du pouvoir de la musique et de la façon dont elle peut stimuler la santé de notre cerveau et freiner le déclin cognitif. Allison : Je m’appelle Allison Sekuler et je suis présidente et scientifique en chef de l’Académie Baycrest pour la recherche et l’éducation, et du Centre d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement. Jay : Je m’appelle Jay Ingram. Je suis journaliste scientifique. J’écris sur la démence et j’en parle depuis plus de 25 ans. Allison : Joignez-vous à nous pour défier la démence, parce qu’il n’y a pas d’âge pour prendre soin de son cerveau. Jay : Si vous écoutez régulièrement Défier la démence, vous savez qu’Allison et moi faisons partie de groupes de musique. Je joue du violon électrique et Allison de la batterie. Allison : On rigole souvent en disant qu’un jour, on organisera une bataille de groupes pour déterminer lequel est le meilleur. Jay : Mon groupe ne donne pas beaucoup de concerts en ce moment, alors c’est probablement le tien Allison. Allison : C’est vraiment gentil de le reconnaître. Et je suis d’accord, c’est probablement le mien. Mais en réalité, peu importe que ce soit mon groupe ou le tien, c’est le cerveau qui sort gagnant. Jay : Aujourd’hui, nous vous expliquerons comment notre cerveau profite de la musique, que vous écoutiez simplement vos chansons préférées ou que vous fassiez quelque chose de plus stimulant, comme apprendre une nouvelle pièce ou jouer d’un nouvel instrument. Allison : Nous allons également tenter de répondre à cette grande question : « Dans quelle mesure la musique peut-elle réduire le risque de démence? » Jay : Mais d’abord, voici l’histoire de deux tourtereaux. Allison : Qui étaient aussi des oiseaux chanteurs. Tous deux faisaient partie d’une chorale de Victoria, en Colombie-Britannique, adaptée aux personnes atteintes de démence. La chorale s’appelle Voices in Motion, et voici son interprétation de Try A Little Kindness de Glen Campbell. Jay : L’un des membres de cette chorale nous rejoint aujourd’hui : Dave Chase, 78 ans. C’est un enseignant retraité de la Colombie-Britannique. Son épouse Rena faisait également partie de la chorale Voices in Motion. Ils se sont mariés à l’âge de 20 ans, ont eu quatre enfants et sont restés ensemble pendant près de 58 ans. À 72 ans, Rena a reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer, et Dave est devenu son proche aidant. Rena est décédée en janvier, à l’âge de 78 ans. Dave est parmi nous pour parler de Rena et de l’influence de la musique sur leur vie. Il nous rejoint depuis l’île Mayne, près de Victoria. Dave, merci beaucoup de vous joindre à nous pour Défier la démence. David : Je suis ravi d’être là. Jay : Nous vous présentons nos plus sincères condoléances. Pouvez-vous nous parler un peu de Rena? David : Eh bien, c’était une personne complexe. Elle était très libre d’esprit, mais souffrait beaucoup d’anxiété. Rena était une jeune fille sensible, élevée dans un foyer très strict, et je pense que la musique a toujours été son refuge, même à cet âge. Elle avait son propre tourne-disque quand elle était adolescente, et c’est à ce moment qu’elle a commencé à développer sa merveilleuse personnalité. Bien qu’introvertie, elle aimait être entourée de gens, rire, danser et chanter. Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, à l’âge de 16 ou 17 ans, elle était très attachante. Allison : Vous avez mentionné qu’avant son diagnostic, Rena avait un grand amour pour la musique. Quel rôle a joué la musique dans votre vie à tous les deux? David : La musique était pour nous un moyen simple d’être heureux. Nous aimions tous les deux chanter dans des chorales d’église, et Rena se servait de la musique pour communiquer avec chacun de ses bébés, l’un après l’autre; elle leur composait de petites chansons. Nous chantions ensemble dans la voiture, Harmony, You are my Sunshine, et toutes les chansons qui nous venaient à l’esprit. Cela a continué tout au long de la vie de Rena. Allison : Quel a été l’impact du diagnostic sur vous deux? David : En fait, je pense que je l’ai accepté assez rapidement, étant donné que j’avais remarqué des pertes de mémoire au fil des années. Rena était particulièrement sensible au fait de subir des tests, et cela l’a profondément bouleversée, au point qu’elle n’a jamais voulu en passer de nouveau. Cela a donc eu des conséquences très lourdes pour elle, et il est évident qu’elle a cherché des moyens d’y faire face. Jay : Après le diagnostic, la musique a-t-elle continué d’avoir de l’importance, pour vous deux? David : Tout à fait. Cet aspect n’a pas changé. Je pense que ce qui rend la musique si merveilleuse, c’est que les paroles étaient pleines de sens et qu’elle pouvait s’inspirer d’une chanson à tout moment, surtout dans les moments de confusion. Il était possible qu’elle ne sache pas trop comment s’intégrer à un groupe, mais la musique était pour elle une façon naturelle de contribuer, peu importe où nous étions. Jay : Vous avez également fait partie de plusieurs chorales, notamment la chorale Voices in Motion. Pouvez-vous nous décrire Rena lorsqu’elle chantait au sein de cette chorale? Comment cela se passait-il, pour elle? David : Oui, cela me fait sourire parce que, ce qui est formidable, c’est qu’elle a elle-même découvert la chorale Voices in Motion en faisant des recherches. Elle a toujours aimé la chorale. Et lorsqu’elle est tombée sur Voices in Motion, elle a vraiment voulu en savoir plus. Dès le premier jour, en franchissant les portes de la salle de réunion, nous avons eu droit aux sourires chaleureux et amicaux d’une communauté très solidaire. C’était un endroit où l’on se sentait vraiment chez soi. Allison : Dave, comment pensez-vous que le fait de participer à la chorale a aidé Rena sur le plan de la cognition, de l’humeur, ou d’une tout autre manière? David : Je pense que le mot clé ici est l’humeur. Les émotions jouent un rôle crucial dans la maladie d’Alzheimer compte tenu de la frustration et parfois de la dépression qu’elle provoque. La musique la sortait de cet état. Je pense que ce n’est pas uniquement grâce à la musique, mais aussi au soutien émotionnel des musiciens ou des autres chanteurs. Les couples chantent souvent ensemble pour se soutenir mutuellement, ou bien le proche aidant qui soutient la personne malade. Mais dans le cas de Rena, qui était contralto (et moi ténor), ses consœurs contraltos la prenaient par le bras et la faisaient s’asseoir à côté d’elles. Elle a donc été accueillie à bras ouverts. C’était une situation intéressante, tant sur le plan social que musical. Jay : Dave, pourriez-vous nous dire comment l’expérience de la musique et de la chorale de Rena a évolué au fur et à mesure que la maladie d’Alzheimer progressait? David : Il est intéressant de noter que l’expérience de la chorale n’a pas vraiment changé. Notre fille a d’ailleurs filmé l’une des représentations. Je pense que l’un des changements est qu’elle n’utilisait pas sa partition. On voit son livre de musique plié sur sa poitrine, mais elle chante parfaitement du début à la fin. J’ai trouvé très intrigant qu’elle n’ait eu aucune perte de mémoire lorsqu’elle chantait dans la chorale. En fait, ses amis l’entouraient et l’aidaient souvent à tourner les pages. Elle ne se fiait toutefois pas à la partition. Allison : Y a-t-il des chansons que Rena aimait particulièrement et qui sont restées avec elle tout au long de la maladie? David : Certaines chansons simples sont restées gravées dans sa mémoire. Je pense à celles qu’elle chantait en public. Un jour, nous étions dans un restaurant pour le repas du midi. Alors que je payais l’addition, Rena était à côté de moi et, sans qu’on lui demande, elle s’est mise à chanter Take Me Out to the Ball Game à la caissière. Allison : C’était son pourboire. David : C’était une chanson parfaite pour l’occasion, et quelques autres tables se sont jointes à elle. Elle aimait “You Are My Sunshine”, et “Hey, Good Lookin’ What You Got Cooking”. Son répertoire ratissait large. Elle en choisissait une et la chantait pendant quelques jours d’affilée. Jay : Juste pour être bien clair, elle n’avait aucun problème à se souvenir des paroles des chansons, même si sa mémoire déclinait? David : Absolument. La veille de son décès, alors qu’elle était presque dans le coma, toute la famille était présente, y compris notre belle-fille, qui est chanteuse. Elle a entonné Amazing Grace et Rena s’est jointe à elle, chantant les paroles avec elle. La voix était faible, mais les mots étaient justes, et c’est un souvenir très précieux. Jay : Il est très difficile de faire de l’introspection dans ce genre de situation. Mais pensez-vous que la musique a aussi eu des bienfaits sur votre propre cerveau? David : Je le crois vraiment. L’autre jour, je me suis surpris à ne pas vouloir écouter de musique, car je suis encore en deuil et cela me ramène trop à mes émotions. Mais il est certain que la musique avec Rena est primordiale. Nous avons beaucoup chanté Saskatoon Moon. Je jouais de la guitare. Elle chantait et nous avions alors un lien extraordinaire. La musique que j’ai partagée avec elle restera toujours avec moi, et c’est quelque chose que je peux maintenant vivre seul. Allison : Chantez-vous toujours dans la chorale? David : Bien sûr. J’ai continué et je ne pense pas m’arrêter. Je fais partie d’une comédie musicale sur l’île Mayne qui me demandera beaucoup de temps d’ici à la production en novembre, mais j’aimerais participer le plus possible aux répétitions de la chorale Voices in Motion. Allison : Selon vous, s’il y avait une seule chose à savoir sur le lien entre la musique et les personnes atteintes de démence, quelle serait-elle? David : Tout d’abord, je dirais que, dans ce parcours contre la demence, tout ce qui peut faire sourire un proche est important. Il faut parfois créer des moments de bonheur et la musique est un merveilleux moyen de le faire. Certaines personnes aiment simplement écouter de la musique. Comme je l’ai mentionné plus tôt, Rena avait beaucoup d’anxiété et elle avait bien sûr des troubles du sommeil, des délires occasionnels et d’autres symptômes similaires, mais le fait d’écouter de la musique douce et de passer du temps avec elle la calmait vraiment. Elle en était souvent reconnaissante. Elle disait souvent : « Oh, merci. C’est de la belle musique. » Je dirais donc à tous ceux qui n’ont pas encore essayé : « Faites-le, vous verrez que cela peut être vraiment utile ». Jay : Merci beaucoup de vous être joint à nous, Dave, et, encore une fois, toutes nos condoléances. David : Merci. Merci beaucoup. Jay : Dave Chase est enseignant à la retraite et membre de la chorale Voices in Motion. Il nous a rejoints depuis l’île Mayne, en Colombie-Britannique. Allison : Notre prochaine invitée a suivi l’histoire de Dave Chase. Debra Sheets est la fondatrice de la chorale Voices in Motion. Elle connaît Dave, ainsi que sa femme, Rena. Debra est gérontologue et professeure émérite à l’École de sciences infirmières de l’Université de Victoria. Son travail consiste à enrichir le quotidien des personnes vivant avec la démence par les arts. Debra Sheets est avec nous, en direct de Victoria. Debra, merci infiniment de nous aider à défier la démence. Debra : Merci, Allison. Allison : Tout d’abord, je voudrais vous demander ce que vous avez retenu de l’histoire de Dave. Debra : Je connais Dave et Rena depuis près de six ans. Ils formaient un couple extraordinaire. Et Rena se mettait à chanter dès qu’elle me voyait. C’était des chansons comme Singing in the Rain ou You Are My Sunshine. Elle avait ses chansons préférées, et la musique était pour elle une véritable source de joie. Elle y trouvait également un grand apaisement. Ce fut un plaisir de la côtoyer tout au long de son parcours avec la démence, d’être à son chevet alors qu’il ne lui restait plus qu’un jour ou deux à vivre et de chanter quelques chansons avec elle. Jay : Lorsque vous avez lancé le projet de la chorale Voices in Motion, quel était votre objectif? Debra : En 2018, nous avons créé la chorale Voices in Motion. Elle a reçu un financement de la Société Alzheimer du Canada. J’avais déjà entendu parler de programmes intergénérationnels et d’une chorale pour personnes atteintes de démence qu’un de mes amis avait fondée aux États-Unis. Je voulais vraiment apporter cela à Victoria. Mon père était atteint de démence et n’avait rien à faire. Il s’asseyait sur le canapé et se repliait sur lui-même. J’ai toujours cru que la musique avait le pouvoir de changer les choses. J’ai donc décidé d’allier le caractère intergénérationnel à la chorale pour personnes atteintes de démence et j’ai reçu du financement pour mener un projet de recherche. J’ai voulu étudier plus précisément l’impact d’une participation à des activités musicales sur le partenaire de soins, la personne atteinte de démence, et les étudiants bénévoles. Et c’est ce qui rend la chorale Voices in Motion si différente : elle est intergénérationnelle et tellement inclusive. Jay : Quelles méthodes votre équipe a-t-elle utilisées pour étudier les changements dans le cerveau des personnes qui chantent dans la chorale? Debra : Il s’agit de l’étude la plus rigoureuse jamais réalisée sur des chorales comprenant des personnes atteintes de démence. Nous avons invité les participants chaque mois pendant un an et demi. Nous avons réalisé deux heures de tests : analyse de la démarche, de a cognition, mesures psychosociales, qualité de vie et le bien-être, ainsi que des mesures de la dépression et l’anxiété. En comparant avec des échantillons nationaux de personnes ayant des pertes de mémoire, nous avons constaté que le taux de déclin cognitif était environ la moitié de ce qu’il aurait été normalement, que les taux d’anxiété et de dépression étaient plus faibles et que les effets étaient très significatifs. Je veux dire que c’était presque mieux que de prendre un comprimé, car cela n’entraîne pas d’effets secondaires. À la fin des séances, les participants éprouvaient un sentiment de proximité avec les autres, avaient noué de nouvelles amitiés et manifestaient de la joie. J’aimerais savoir combien de temps durent ces effets, mais avec une personne qui a des pertes de mémoire, il est un peu difficile de lui demander quelques jours plus tard comment elle se sent ouet si il y a un lien avec sa présence à la chorale. À la lumière des témoignages des proches aidants, je suis convaincue que l’amélioration de l’humeur persiste. Lorsque nous avons effectué des électroencéphalogrammes, à titre de tests pilotes pour déterminer quelles parties du cerveau étaient activées, nous avons constaté que le fait de chanter en compagnie d’autres personnes n’activait pas les mêmes parties du cerveau que lorsque l’on chante seul. Vous libérez aussi de l’ocytocine et d’autres substances neurochimiques qui provoquent des sentiments positifs et renforcent le sentiment de proximité avec les autres. Tout cela aide à mieux fonctionner. D’autre part, lorsque l’on est anxieux et déprimé, la mémoire peut jouer des tours, et même les chansons les plus familières peuvent devenir plus difficiles à interpréter. En réduisant l’anxiété et la dépression, les gens sont en mesure de mieux fonctionner. C’est ce qui explique les résultats si positifs de nos recherches. Allison : Dave nous a décrit les bienfaits de la musique sur lui et sa femme, Rena. Je me demande si vous pouvez nous raconter d’autres histoires sur l’effet de la participation à la chorale sur d’autres membres de Voices in Motion. Debra : Nous savons que les personnes ayant des pertes de mémoire sont souvent isolées et qu’il n’y a pas beaucoup d’activités inclusives dans la collectivité. Notre chorale a été la première à accueillir des personnes vivant avec des troubles de la mémoire. Certaines personnes participaient à d’autres chorales mais ne pouvaient plus continuer parce qu’elles n’arrivaient pas à mémoriser les partitions. D’autres, n’avaient jamais chanté dans une chorale auparavant. Mais toutes ont trouvé leur place, car c’est devenu une communauté bienveillante où les gens se soutiennent mutuellement. Les étudiants s’asseyent souvent à côté de personnes souffrant de pertes de mémoire et les aident à trouver la bonne page dans le cahier. Chaque semaine, les gens attendent l’activité avec impatience. Allison : J’aimerais savoir quel rôle l’élément intergénérationnel a joué dans la façon dont les jeunes perçoivent le vieillissement et la stigmatisation qui y est associée. Debra : Les étudiants apprennent à ne pas avoir peur de la démence. Un certain nombre d’entre eux poursuivent désormais leur carrière en sciences infirmières et travaillent avec des aînés. Et ça, ce n’est pas fréquent. En tant que professeure en sciences infirmières, je vois beaucoup d’étudiants qui veulent travailler en pédiatrie ou en santé maternelle et infantile, mais c’est très rare qu'ils veulent travailler auprès des aînés. Mais j’ai même eu un étudiant qui s’est inscrit en médecine pour travailler en gériatrie. Et c’est là tout l’objectif : réduire la stigmatisation associée à la démence et renforcer les liens sociaux. C’est vraiment le travail le plus important que j’aie accompli. L’impact direct sur les étudiants, les partenaires de soins et les personnes vivant avec des pertes de mémoire était évident. Allison : C’est incroyable. Vos recherches ont vraiment permis de démontrer les bienfaits de la musique sur le corps, le cerveau et l’âme. Nous vous remercions d’avoir pris le temps d’échanger avec nous, aujourd’hui. Debra : Merci à vous, Allison et Jay, pour le travail que vous faites en vue de défier la démence. Allison : Debra Sheets est gérontologue et professeure émérite à l’École des sciences infirmières de l’Université de Victoria. Elle nous a parlé depuis Victoria. Jay : Vous venez d’entendre la chorale Voices in Motion interpréter Count On Me, de Bruno Mars. Quel est donc le pouvoir de la musique sur la santé cérébrale? C’est à cette question que notre prochaine invitée tentera de répondre. Julene Johnson est professeure en neurosciences cognitives à l’Institute for Health and Aging de l’Université de Californie à San Francisco. Elle dirige également le Music and Dementia Research Network, un groupe de scientifiques qui étudient l’incidence de la musique sur le cerveau et le corps. Julene Johnson nous rejoint depuis San Francisco. Bienvenue à Défier la démence, Julene. Julene : Merci beaucoup de m’accueillir. Jay : J’aimerais savoir pourquoi vous avez commencé à vous intéresser à ce sujet de recherche : l’effet de la musique sur les aînés et les personnes atteintes de démence. Julene : En fait, je venais de terminer mon baccalauréat en musique et j’essayais de trouver un moyen de combiner mon intérêt pour la musique et pour le cerveau. Un jour, alors que j’étais bénévole dans un centre de jour pour adultes, j’étais assise dans une pièce et j’observais ce qui se passait. Il y avait beaucoup de gens qui ne faisaient pratiquement rien. La plupart faisaient la sieste. Ils étaient assis en cercle et n’interagissaient pas. Une femme s’est levée lentement, s’est assise au piano et s’est mise à jouer. Je n’arrivais pas à y croire : il s’agissait d’une femme âgée, atteinte de démence. Cinq minutes auparavant, elle faisait une sieste dans sa chaise, comme tout le monde dans la salle. Ce qui m’a le plus frappée, c’est que toute la salle s’est réveillée et a commencé à bouger un peu au rythme de la musique. Certains se sont mis à chanter, d’autres se sont levés et ont dansé un peu. J’ai été très impressionnée, étant jeune à l’époque, et je me suis dit : « C’est ça. Je veux comprendre ce qui, dans la musique, permet aux personnes atteintes de démence de renouer avec l’identité qu’elles avaient, plus jeunes. » Tout cela remonte à plus de 30 ans. Depuis, j’ai combiné mon expérience de l’étude de la musique avec mon intérêt pour les neurosciences cognitives. Allison : Vous avez entendu notre conversation avec Dave Chase. Qu’est-ce qui vous a marqué dans cette conversation? Julene : J’ai été très émue par l’histoire de Dave. Ce qui m’a frappée, c’est son ouverture à l’idée d’utiliser la musique pour aider sa femme, Rena. Mais surtout, il a su faire preuve d’une grande intuition et a utilisé la musique de manière intentionnelle. Il a par exemple remarqué qu’ils pouvaient chanter dans la voiture et même au restaurant. Il a aussi remarqué que la musique était un refuge sûr et accueillant pour sa femme. Cette musique a suscité des émotions et des sentiments significatifs chez eux, et leur a permis de partager ces moments ensemble. Ce qui était particulièrement intéressant pour moi, en tant que chercheuse, c’est que ce sont exactement les sujets que nous étudions. Allison : Il existe différents niveaux de participation musicale. Nous souhaitons donc les aborder séparément. Tout d’abord, quels sont les avantages de la simple écoute de la musique pour le cerveau? Julene : Eh bien, le cerveau est très actif lorsque l’on écoute de la musique, car celle-ci mobilise plusieurs réseaux cérébraux. Par exemple, nous écoutons activement de la musique en utilisant nos oreilles. Le système auditif se connecte ensuite aux réseaux d’émotions du cerveau, par exemple lorsque vous éprouvez des sentiments et des émotions. Il se connecte également aux réseaux attentionnels du cerveau, où nous mobilisons nos fonctions cognitives pour prêter attention aux sons, suivre les instruments de musique et distinguer différents éléments. Enfin, le système auditif se connecte très efficacement aux souvenirs, ce qui est crucial pour comprendre le rôle de la musique dans le contexte de la vie avec la démence. Comme nous le savons tous, la musique peut faire appel à la mémoire à long terme. Elle peut vous ramener à différents moments de votre vie, comme lorsque vous écoutiez la chanson de mariage sur laquelle vous avez dansé avec votre partenaire. Mais ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Le simple fait d’écouter de la musique active de nombreux réseaux cérébraux distincts. Jay : Oh, la musique peut aider de bien des façons. Mais qu’en est-il du fait de jouer d’un instrument ou de chanter, de participer à la production de musique? Les effets sont-ils différents? Julene : C’est une excellente question, car nous savons que la pratique active de la musique, comme chanter dans une chorale, seul ou avec d’autres personnes, ou jouer d’un instrument de musique, seul ou en groupe, mobilise également différents réseaux cérébraux. Par exemple, si vous faites partie d’une chorale, vous activerez également votre système moteur. Vous vous balancerez au rythme de la musique, vous taperez du pied ou entrerez dans la danse. Il se peut aussi que vous bougiez avec d’autres personnes. Il y a donc un aspect social lorsque vous faites de la musique en groupe. Et lorsque vous apprenez de nouvelles chansons ou de nouveaux morceaux à l’aide de votre instrument, vous apprenez également de nouvelles informations. Et celles-ci requièrent la participation de différentes parties du cerveau, de différents réseaux. Allison : C’est très intéressant, car certaines des choses dont vous parlez sont en fait des sujets que nous avons abordés dans les épisodes précédents comme étant des moyens de réduire le risque de démence. Mais que savons-nous des bienfaits de la musique sur les personnes atteintes de démence? Julene : Nous savons depuis plus de 50 ans que la musique est un élément qui est souvent préservé chez les personnes atteintes de démence. Pas toujours, mais souvent. Nous avons tout récemment obtenu des fonds supplémentaires pour étudier ce phénomène. Donc, nous savons que la musique peut également rester préservée chez certaines personnes tout au long de leur vie. Ainsi, pendant leur parcours avec la démence, qu'elles vivent à domicile ou en établissement spécialisé, elles peuvent encore avoir accès à cette musique. Nous essayons désormais de mieux comprendre les mécanismes, qu'ils soient physiologiques ou psychologiques, qui permettent cela. Plus important encore, nous souhaitons, dans l’avenir, être en mesure de fournir des recommandations plus précises et adaptées aux familles et aux collectivités. Par exemple, si quelqu’un vient me voir et me dit : « Ma mémoire me préoccupe un peu. » Ou encore : « Je me sens isolé. » A la suite de l’étude que menée auprès de la chorale dont j'ai parlé, nous savons que les aînés qui participent à une chorale pendant six mois se sentent moins seuls. Donc je pourrais leur conseiller de se joindre à une chorale ou je pourrais leur conseiller d’apprendre un nouvel instrument de musique pour aider la mémoire. Nous n’en sommes pas encore au stade où nous pouvons personnaliser nos recommandations et optimiser ces interventions. Nous avons tous des choix à faire dans la vie : la manière de passer le temps, l’utilisation de nos ressources financières, nos relations avec notre communauté. Nous voulons aider les gens à faire ces choix de manière plus éclairée. Jay : Nous avons déjà beaucoup parlé de la mémoire. Dave Chase a raconté plus tôt comment sa femme, Rena, a progressivement perdu la mémoire au fur et à mesure que la maladie progressait. Mais elle a pu se souvenir des paroles de chansons jusqu’à la fin de sa vie, même si elle n’était probablement plus en mesure d’utiliser ces mots dans une conversation. Comment se fait-il que l’on se souvient parfois de la composante verbale d’une chanson alors que ce n’est pas le cas pour la composante verbale d’un discours? Julene : C’est une excellente question, que les chercheurs se posent depuis 150 ans, en particulier dans le cas de personnes ayant subi un accident vasculaire cérébral ou un AVC. Dès le XIXe siècle, des chercheurs ont remarqué que, même lorsque la capacité de converser et d’utiliser le langage est gravement altérée à la suite d’un AVC, certaines personnes peuvent encore chanter les paroles d’une chanson. Dans certains traitements et thérapies de réadaptation pour les personnes ayant subi un AVC, chanter des paroles de chansons est souvent utilisé comme une stratégie. Il est fort probable que les résultats de ces recherches menées sur les personnes ayant subi un AVC s’appliquent également aux personnes atteintes de démence. Sinon, en ce qui concerne la capacité à chanter des mots qui peuvent être difficiles à prononcer, je pense que la musique agit comme un indice, car elle possède également un rythme. On peut s’appuyer sur ces repères naturels, qui sont presque spontanés, automatiques et rapides. Ensuite, en y ajoutant des émotions, le fait de chanter les mots plutôt que de les dire devient soudain beaucoup plus facile et automatique. Allison : Nous avons jusqu’à présent parlé des bienfaits de la musique pour les aînés, mais y a-t-il aussi des avantages plus tôt, chez les jeunes adultes ou même dans l’enfance? Julene : Je pense que nous sommes tous d’accord sur l’importance de l’apprentissage de la musique dès l’enfance ou tôt dans la vie. De nombreuses recherches confirment en effet que c’est une période clé pour l’apprentissage. D’autant plus que l’apprentissage de la musique, c’est un peu comme apprendre une nouvelle langue. Il y a certains avantages à commencer tôt. Mais en réalité, apprendre et pratiquer la musique à n’importe quel moment de la vie est probablement tout aussi bénéfique. Je mène actuellement une étude où nous offrons 12 semaines de formation à l’improvisation au piano à des aînés qui peuvent être atteints ou non de troubles cognitifs légers. L’idée est que l’apprentissage d’un nouvel instrument, comme le fait de se familiariser avec le clavier d’un piano, comporte des exigences différentes de celles liées à l’apprentissage du chant dans une chorale. Nous espérons obtenir les résultats dans quelques années. Mais le principe, c’est qu’il existe différents types d’apprentissage de la musique. Il est bon de commencer tôt dans la vie, mais si ce n’est pas le cas, cela ne doit pas constituer un obstacle. C’est vraiment une belle opportunité. Jay : Je pense que les gens aimeraient savoir si la musique réduit vraiment le risque de démence. Cette question a-t-elle été examinée en détail? Julene : Je dirais que c’est une question un peu plus complexe. Premièrement, il faut de grandes cohortes de participants. Ensuite, il faut beaucoup de temps pour étudier le risque de développer une maladie, car la démence peut mettre 20 ans ou plus avant de se manifester. Ces études sont donc plus coûteuses et difficiles à réaliser. Mais nous disposons de quelques études transversales qui suggèrent par exemple que les musiciens ou les personnes ayant une formation en musique sont moins susceptibles de développer des troubles cognitifs légers ou une démence. Le problème, c’est que l’on ne sait pas ce qui est à l’origine de quoi. S’agit-il simplement du fait que les personnes qui ont été davantage exposées à la musique tout au long de leur vie présentent un risque moindre ou existe-t-il d’autres facteurs? Des études plus poussées sont nécessaires pour répondre à cette question. Jay : C’est fascinant, Julene. Allison et moi avons une dernière petite question, et comme je suis au micro, c’est moi qui commence. Je sais que vous êtes flûtiste et je dois absolument vous demander : Étiez-vous ou êtes-vous une grande fan de Jethro Tull? Allison : Et moi j’aimerais savoir si vous êtes aussi une fan de Lizzo. Julene : Ahah, D’accord, Jethro Tull, absolument. Au secondaire, c' était mon héros. J’étudiais la musique classique, et là, je voyais un flûtiste qui se produisait dans un groupe de rock. J’étais fascinée et je l’écoutais attentivement parce qu’il créait tous ces sons bizarres avec sa flûte. Et le fait qu’un flûtiste soit le leader du groupe était vraiment super. Quant à Lizzo, je ne la connais pas, donc c’est tout nouveau pour moi. C’est qui exactement? Allison : Elle peut jouer de la flûte et danser le twerk en même temps. Julene : Wow. Allison : C’est un mélange de musique et d’exercice, je suppose. Deux activités qui pourraient réduire le risque de démence. Julene : Eh bien, voilà! Ça pourrait être le sujet d’une prochaine étude. Jay : Merci beaucoup d’avoir participé à l’émission. C’était vraiment agréable de vous parler. Julene : Merci beaucoup. C’était très agréable. Jay : Julene Johnson étudie l’impact de la musique sur le cerveau vieillissant. Elle est professeure en neurosciences cognitives à l’Institute for Health and Aging de l’Université de Californie à San Francisco. Elle nous a rejoints depuis San Francisco. Quelle émission passionnante, Allison. Qu’est-ce qui t’as le plus frappé dans ce que nous avons entendu aujourd’hui? Allison : Ce qui m’a le plus intéressée, c’est la façon dont la musique peut jouer un rôle dans la santé du cerveau, que ce soit chez les jeunes ou les aînés. Elle peut aussi être utile pour réduire le risque de démence ou pour les personnes déjà atteintes de la maladie. Elle peut donc s’avérer utile pour la santé de notre cerveau à tout âge et à tout stade. Qu’est-ce qui t’as le plus marqué? Jay : C’est un peu ce que tu viens de dire, la musique est non seulement utile toute notre vie, mais elle stimule aussi toutes les régions du cerveau. Quand on y pense, les chansons peuvent avoir des paroles ou non. Si elles en ont, nous utilisons une partie de notre esprit pour réfléchir au sens des mots. Tout le monde sait que la musique peut être une source d’émotions intenses et que cela représente un défi sur le plan intellectuel. Qu’en est-il de l’improvisation par rapport à la musique écrite? Si l’on pouvait voir le cerveau en action pendant qu’on joue de la musique, je pense qu’il s’illuminerait de toutes parts. Allison : Oui, et il y a aussi l’aspect social. Jay : En effet. Et justement, en parlant de cet aspect, j’espère vraiment que les personnes à l’écoute qui se disent qu’elles ne peuvent pas faire de musique vont se remettre en question, car je pense que nous avons tous une plus grande propension à la musique que nous ne le pensons. Allison : Je suis entièrement d’accord. Lorsque j’étais en première année, dans notre classe de musique, la professeure m’a dit de chuchoter les mots. Elle m’a dit : « Tu n’as qu’à articuler silencieusement, chérie, tu n’as pas besoin de faire de bruit. » Pendant des années et des années, j’ai pensé que je n’avais aucun talent pour la musique et que je ne pouvais pas chanter. Je me suis tenue à l’écart de la musique pendant très longtemps. Puis j’ai commencé à chanter sous la douche, et maintenant je participe à des comédies musicales et je joue de la batterie. Ne laissez donc pas votre enseignante de première année vous empêcher d’aimer la musique. Elle résonne en vous. Elle est présente dans chacun d’entre nous. Pour en savoir plus sur la façon de réduire le risque de démence ou de ralentir sa progression, rendez-nous visite sur defierlademence.org. Vous y trouverez les autres épisodes du balado, ainsi que nos vidéos, des images infographiques et d’autres ressources. Jay : Notre équipe de production pour ce balado est composée de Rosanne Aleong, Helen Chen et Sylvain Dubroqua. Notre rédacteur et producteur associé est Ben Schaub. La production est assurée par Pod Tech. La musique est de Steve Dodd et le dessin de la page de couverture a été réalisé par Amanda Forbis et Wendy Tilby. Allison : Nous tenons également à remercier les personnes qui financent le balado, la Slaight Family Foundation, le Centre d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement et Baycrest. Jay : Nous sommes également très reconnaissants du soutien que vous nous accordez. Veuillez cliquer sur le bouton d’abonnement pour suivre Défier la démence sur Spotify, Apple Podcasts ou toute autre plateforme où vous écoutez vos balados. Et nous vous prions de laisser un J’aime, un commentaire ou même une note de cinq étoiles. Allison : Dans la prochaine édition de Défier la démence, nous soulèverons des questions percutantes comme « Dans quelle mesure notre attitude affecte-t-elle le risque de démence? » Une attitude positive peut-elle aider à ralentir la progression d’une maladie comme l’Alzheimer? Préparez-vous à être épatés par les réponses. Je m’appelle Allison Sekuler. Jay : Et moi, Jay Ingram. Merci d’avoir écouté Défier la démence. Et n’oubliez pas : il n’y a pas d’âge pour prendre soin de son cerveau.